lundi 18 avril 2016

Peut-on trouver l’amour durable sur le Net ?

Peut-on trouver l’amour durable sur le Net ?

Par Ophélie Ostermann | Le 10 novembre 2014

Aux États-Unis, déjà 30% des couples mariés depuis 2005 sont issus des sites de rencontres. Mais si les candidats à l’amour 3.0 sont nombreux, une récente étude américaine ne donne pourtant pas cher de leur avenir. Ils seraient moins solides que ceux dont les chemins se sont croisés dans la vraie vie. Enquête.


Des millions de personnes sont maintenant inscrites sur les sites de rencontre. Même les plus réticents finissent par tenter l’expérience pour s'amuser ou par curiosité, disent-ils... Une chose est sûre, ce nouveau marché de l’amour en ligne multiplie les occasions. Mais qu’advient-il de ces couples qui se sont repérés sur la Toile ?
Certains les croient solides. Après tout, les sites permettent de cibler dès le départ des critères décisifs pour éviter les erreurs et gagner du temps. D’autres sont moins séduits par le concept. Comment établir une relation durable quand nous voulons tout contrôler de notre destin en déterminant le profil de l’aimé comme on achète un canapé.
Publié dans la revue américaine Cyberpsychology, Behavior and Social Networking, le verdict des scientifiques est tombé. Un couple formé sur Internet a moins de chances de durer dans le temps. Environ 8 % des couples américains, mariés et issus des sites de rencontre, sont séparés ou divorcés après trois ans. Du côté des unions qui se sont forgées de manière plus classique (via les amis, le travail, etc.), elles ne sont que 2%. La différence n'est pas immense, toutefois elle interroge. Ces couples du Web ne résisteraient pas en effet à la tentation de retourner sur les sites. Le large panel de partenaires véhiculerait l’idée qu’ils peuvent toujours trouver mieux. À cette profusion d’histoires possibles, s’ajoute une intimité artificielle, selon les chercheurs.  Des résultats à relativiser puisque l’année dernière, une autre étude avançait l’exact contraire en constatant que les rencontres digitales donnaient des unions plus durables. Alors qu’en est-il réellement ?
Tandis que les rendez-vous virtuels se banalisent, ils deviennent une façon presque comme une autre d’aborder quelqu’un. «  C’est une modalité d’entrée en contact. Cela n’empêche pas les bonnes choses ou les problèmes d’arriver », assure Juliette Allais, psychothérapeute et auteure de Amour, le sens de nos rencontres(Éd. Eyrolles). La magie de l’amour s’exercerait donc sur le Net comme ailleurs... Vraiment?

Les gens qui jouent le jeu se livrent beaucoup plus que dans la vie réelle


Le piège du fantasme

Mais le virtuel, parce qu’il permet de se façonner un personnage, de s’embellir et parce qu’il recule le moment angoissant de la rencontre physique, souvent décisive, prolonge parfois le fantasme et les sentiments. Grave erreur… Derrière son écran, privé du contact de la peau, des regards et de la voix, on enjolive l’histoire sans que les cinq sens ne nous alertent. Avec un amoureux virtuel, on se livre parfois plus facilement même, comme délivré de la timidité. « Je crois que les gens qui jouent vraiment le jeu se livrent beaucoup plus que dans la vie réelle, explique Pascal Couderc, psychanalyste et auteur de L’amour au coin de l’écran, du fantasme à la réalité (Éd. Albin Michel). Il y a une vraie connaissance de l’autre car il est plus facile de se révéler et de parler sans être vu. » En somme, les barrières sautent, la pudeur avec.
Mais si l’intimité existe, elle n’en reste pas moins virtuelle et ouvre un boulevard au fantasme. Si ce dernier enflamme les échanges au début, il s'avère surtout nocif pour les relations made in Web. Un enthousiasme qui monte en flèche, une photo irréaliste, un humour exacerbé à l’écrit mais en berne à l’oral… La déception n’est jamais loin. La psychosociologue et coach de vie, Patricia Delahaie (1), est catégorique. Pour éviter le piège, une seule solution : « Il faut se rencontrer très vite, pas plus d’un mois après le premier échange. » Dans la pratique, le psychanalyste Pascal Couderc confirme : « Je reçois de plus en plus de couples issus d’Internet qui viennent consulter tôt pour surmonter l’écart entre le fantasme et la réalité. Il y a un vrai travail à faire pour s’adapter. » « Tout ce qu’on a dit doit être validé par un contact physique. Via le numérique, on se crée plus facilement un personnage. Le challenge finalement c’est d’être honnête », indique-t-il. Car si l’angoisse de la rencontre est grande, la tentation d’idéaliser le potentiel partenaire l’est d’autant plus et annonce des déboires. Comment ce futur partenaire pourrait-il exister au côté d'un modèle pré-créé ?

Ce qu'on vaut sur le marché de l'amour

Dans le fond, la suite de la rencontre virtuelle dépend de nous, de l’état d’esprit des inscrits sur ces sites. Certains viennent manifestement pour se réconforter, évaluer ce qu’ils valent sur le marché de l’amour. Pour d’autres, l'objectif n'a rien de reluisant. Ils collectionnent les conquêtes et les bernent pour parvenir à leurs fins. Mais beaucoup pensent sincèrement trouver quelqu'un. Ils optent pour le Web par timidité, manque de temps, d’expérience. Pour trouver des partenaires de leur âge et disponibles. Difficile de découvrir quelqu'un quand on a passé des décennies avec la même personne et que l'on est entouré de couples... Mais certains font aussi leur premier clic par facilité. Après tout, la rencontre sur Internet, rapide, ne demande presque aucun effort.  
Mais à trop vouloir que le contact soit fécond et rapidement, le comportement peut jouer des tours. « L’impatience voire l’angoisse provoquent de nombreuses déceptions car on s’engage trop vite dans une relation qui ne nous correspond pas. On fait passer à l’autre une sorte d’entretien d’embauche, comme si l’amour correspondait à des cases », ajoute la psychosociologue Patricia Delahaie.

Le contrôle peut tout faire basculer

Un « entretien d’embauche » révélateur d’un besoin de contrôler, de diriger le navire. La variété des sites de rencontre le démontre. L’élitiste Attractive World propose des partenaires CSP + et Mektoube surfe sur la religion. Si l'on veut finir sa vie avec un roux, un vegan ou un amoureux de la viande, c'est possible. « Ça véhicule l’idée qu’on peut trouver chaussure à son pied parce qu’on a accès à une machine, mais c’est une idiotie totale », commente la psychothérapeute Juliette Allais. N’y a-t-il pas toujours une part qui nous échappe dans la réunion de deux personnes ? Ici, l’échange est déjà faussé avec ces cases cochées, comme si elles étaient garantes du futur succès. La psychothérapeute avertit : « Le risque c’est que l’on se trompe dans l’idée même de la rencontre. Au final on n’est plus disponible pour la surprise que l’autre crée en arrivant. »
Les couples se plaisent d’ailleurs à raconter la somme de hasards qui a contribué à leur union, comme si la main invisible du destin signait le véritable amour. D'ailleurs, si les sites se démocratisent de plus en plus, on ne crie tout de même pas sur tous les toits que l'on a un rendez-vous Meetic samedi prochain. Parce que ces sites sont négativement connotés. Comme s'ils étaient l'ultime recours après avoir tout essayé. « Il y a une sorte de déni. On n’en a pas honte mais on est un peu désolée quand même », précise Patricia Delahaie. Pourquoi ? Les usages couvrent la rencontre de mythologie. On ne peut effectivement pas dire que le fonctionnel et le mécanique de l’informatique glamourise… « On a besoin de donner à la relation une prédestination, un heureux hasard. Sur Internet il y a un côté absolument pas naturel, la rencontre est artificielle », explique l’auteure.
Mais, qu'il soit d'origine virtuelle ou réelle, si les deux postulants se correspondent et se font écho, le couple n'a finalement aucune raison d'être moins solide qu'un autre...
(1) Auteure de Comment faire la bonne rencontre, du premier regard à l'amour heureux (Éd. Le livre de Poche)



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